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La "Collection Trianon"
LA COLLECTION NAVALE DE TRIANON
Des modèles pour l'empereur
Le musée national de la Marine conserve dans ses collections un ensemble exceptionnel de modèles de navires de guerre réunis à partir de 1810 à la demande de Napoléon pour être placés dans la galerie du Grand Trianon à Versailles, connu aujourd’hui sous le nom de « collection Trianon ».
En juillet 1810, Decrès, ministre de la Marine, chargea Jacques-Noël Sané, inspecteur général du Génie maritime, en lien avec Duroc, grand maréchal du palais, et Alexandre Desmazis, administrateur du Garde Meuble impérial, de constituer la collection. Treize modèles étaient prévus : « Un vaisseau à trois ponts, un de 80 [canons], un de 74 [canons], un de 50 [canons], une frégate, une corvette, une chaloupe canonnière, un cutter [cotre], une tartane, un lougre, un bateau canonnier, un caïque, une péniche ». On ne connait pas la raison pour laquelle l’Empereur souhaita rassembler cette collection, mais dans cet ensemble figuraient les petites embarcations destinées à envahir l’Angleterre. Cela signifie-t-il qu’en 1810, Napoléon n’avait pas abandonné son projet lancé en 1803 par le rassemblement de la flottille à Boulogne ? C’est possible. Dans ce palais de campagne, relativement isolé, il pouvait étudier à loisir les capacités de ses navires et s’adonner à la tactique navale. L’Empereur a peut-être aussi voulu honorer Sané, le plus brillant ingénieur-constructeur de sa génération, et ainsi témoigner de l’excellence de la construction navale française de l’époque. Les vaisseaux de la Marine impériale étaient en effet le fruit de la standardisation mise en place dans les années 1780, qui avait permis l’amélioration des constructions, une interchangeabilité des pièces fort utile pour les réparations, et l’harmonisation de la marche des escadres. Sané était l’auteur des plans généraux pour chaque type de vaisseau de 118, 80 et 74 canons, qui furent utilisés jusqu’à la fin de l’Empire.
Buste de Sané (1740-1831) par Louis-Joseph Daumas et détail de l'Océan, vaisseau de 118 canons, dans son état de 1807, vue de la poupe, modèle réalisé en 1790, modifié en 1810 © Musee national de la Marine/P.Dantec
Plusieurs modèles purent être envoyés dès 1810 à Trianon. Il s’agissait de modèles de navires de l’Ancien Régime, comme ceux du chebec ou du vaisseau de 64 canons, ou celui du vaisseau de 118 canons L’Océan, qui était toujours en service. Mais il fallut fabriquer les modèles représentant la Marine de Napoléon.
Afin de restaurer les modèles existants, et fabriquer ceux qui étaient à réaliser, Sané organisa à Paris, au sein du Dépôt des Cartes et Plans, un atelier qui employait trois ouvriers spécialisés venus des arsenaux. L’atelier des modèles de l’arsenal de Rochefort fut aussi mis à contribution pour fournir l’artillerie de bronze et les éléments de mâture et d’accastillage.
Les modèles de la Marine impériale réalisés pour la collection comportent un décor précieux d’ébène et d’ivoire témoignant de leur fonction de prestige. Certains modèles ont des parties amovibles, permettant de voir les cales ou les appartements de l’état-major.
Flore, frégate de 44 canons, vue de la grosse cloche au centre du navire, modèle réalisé entre 1812 et 1816 © Musee national de la Marine/P.Dantec
Une fois à Trianon, les modèles étaient présentés sans vitrine sur des pieds dus à l’ébéniste Jacob-Desmalter. Une mécanique permettait de faire mouvoir les modèles horizontalement. Ces socles, aujourd’hui perdus, étaient aussi montés sur roulettes afin de pouvoir déplacer les maquettes pour libérer l’espace de la galerie, où se trouvaient, outre des tableaux, de nombreux objets d’art, vases en pierres semi-précieuses et statuettes de bronze.
À la chute de l’Empire, la collection était inachevée. Elle fut poursuivie sous la Restauration.
Les recherches menées à ce jour ne permettent pas de savoir combien exactement de modèles ont figuré dans la galerie, ou ont été prévus pour elle entre 1810 et 1828. Certains sont en effet perdus. Quinze modèles sont aujourd’hui identifiés comme faisant partie de la collection Trianon, parmi lesquels douze se trouvaient à Trianon en 1818. Les trois autres, prévus pour y être envoyés, restèrent finalement au ministère de la Marine à Paris. Un seizième modèle aujourd’hui au musée de la Marine, celui de la frégate La Renommée, semble ne pas correspondre à celui qui figura à Trianon. Ils ont tous rejoint en 1828 le musée de la Marine qui venait d’être créé au Louvre.
Hélène Tromparent-de Seynes et Alain Niderlinder
Interventions de restauration sur la collection Trianon
En vue de l’exposition présentée au Grand Trianon à l’été 2014, cette collection a fait l’objet d’une campagne de restauration en 2013 et 2014, impliquant l’intervention de restaurateurs issus de différentes spécialités. Les compétences internes réunies au sein de l’atelier de restauration du Musée national de la Marine ont permis de traiter toutes les problématiques de gréement, de bois, de métal et de soclage, tandis que les interventions sur les voiles, flammes et pavillons ont été externalisées.
Bateau écurie avant et après décrassage, détail du pont ©N/Navarro
Les quinze modèles d’arsenal sont constitués de matériaux d’une grande diversité, choisis et mis en œuvre avec soin. Les coques, les ponts et la mâture sont généralement en bois vernis, les gréements et les voiles souvent en lin, les pavillons et les flammes en soie, les doublages en feuilles de cuivre, et les ornements en os ou en ivoire, en ébène ou en fruitier teinté. Ces matériaux se sont altérés dans le temps sous l’action conjointe des conditions climatiques, de la pollution atmosphérique, de l’accumulation de la poussière, ainsi que des campagnes successives d’entretien.
La première étape consiste à enlever la poussière au micro-aspirateur et au pinceau doux car elle accélère la dégradation de l’ensemble des éléments. Lorsque la poussière est adhérente, il est nécessaire de décrasser les surfaces avec des gommes ou des solvants.
Décrassage de La Lionne à la gomme à l’aide d’une pince longue. ©N/Navarro
La restauration se poursuit par la fixation d’éléments en bois ou en métal qui sont désolidarisés, décollés ou cassés. D’une part, les assemblages mécaniques anciennement maintenus par des pointes métalliques sont remis en place selon le même principe. D’autre part, les pièces décollées sont nettoyées et les résidus de colles et de cires sont retirés. Les interventions sur le gréement reçoivent une attention toute particulière. L’atelier de restauration du musée a mis en place un protocole qui a pour objectif de garder l’équilibre structurel du modèle et de conserver les informations de construction. Les cordages brisés qui ne peuvent être conservés en raison de leur état de dégradation sont documentés puis restitués.
Enfin, les voiles présentent souvent des perforations et des déchirures. En fonction de leur l’importance, le traitement peut s’effectuer sans démontage ou après dépose du textile.
Cannonière-brick avant restauration du gréement et du pavillon. ©J-M/Letenoux
La grande drisse de pic est cassée et brûlée. L’estrope de la poulie du palan de transmission tribord sur le gouvernail est cassée. La garde tribord de la bôme est cassée La garde bâbord de pic de brigantine est brûlée. La garde tribord de pic de brigantine est manquante. L’écoute bâbord de petit perroquet est cassée et brûlée. La cargue-point bâbord de petit perroquet est cassée et brûlée. Le pavillon de poupe est absent ; il a été déposé pour restauration.
Cannonière-brick ©J-M/Letenoux. Emballage du modèle après sa restauration, en vue de la mise en caisse pour son transport vers Trianon. Entaillage de la mousse à la forme de la coque et pose de Tyvek® afin d’isoler l’objet de la mousse.
Entre mars 2013 et mai 2014, trente-six semaines effectives de travail ont été nécessaires pour la restauration de l’ensemble de ces modèles. Ce temps de traitement est dû en partie à la difficulté d’atteindre toutes les surfaces dont l'accès est gêné par l’ensemble des cordages et des voiles. Il faut toutefois souligner que la collection, construite au début du XIXe siècle, présente un état de conservation remarquable.
Jean Michel Letenoux, restaurateur spécialité bois et gréement, Bénédicte Massiot, spécialité métal et Nidia Navarro, spécialité bois.
Cette collection a été présentée dans l’exposition Maquettes de la Marine impériale. Collection du musée de la Marine organisée par le chateau de Versailles au Grand Trianon du 17 juin au 14 septembre 2014, en partenariat avec le musée national de la Marine.
Commissariat de l'expostion : Jérémie Benoît, conservateur en chef au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, Hélène Tromparent-de-Seynes, conservatrice en chef du patrimoine au musée national de la marine et Alain Niderlinder Histoirien des collections navales
À lire : Catalogue de l’exposition Maquettes de la marine impériale. Collection du musée de la Marine à Trianon, Snoek/Etablissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles, Paris, 2014.